Vendredi 23 juin, au Sénat, devait être soumis au vote un rapport sur les violences gynécologiques et obstétricales. Le couronnement d’un travail de deux années, rassemblant l’expertise de plus de trente spécialistes et un vote unanime au sein de la commission qui en suivait la préparation.

Cela n’a pas eu lieu. Le texte est renvoyé en commission.  Quand ? Pour y faire quoi ? Je l’ignore.
A l’ombre de mon week-end, j’ai rédigé le récit de ce blocage.
Et sous l’article, des liens pour voir, comprendre.

Jeudi 14h, nous apprenons que des amendements sont déposés tardivement par l’Open-Vld, et soutenus par le Cd&v et le MR. Ils portent sur des questions médicales (et celà bien que le rapport ait une visée bien plus large que des actes techniques) et abordent les épisiotomies, les césariennes ‘programmées’, l’expression abdominale, la tarification à l’acte.

Je suis prête à en discuter. Avec ma collègue Hélène Ryckmans, nous soumettons aux collègues des sous-amendements afin de chercher le compromis en vue des débats du lendemain. Pour voter le texte, maintenir le dialogue est nécessaire : une majorité des voix est requise mais aussi un tiers des voix dans chaque communauté linguistique, ce qui est impossible sans le soutien de ces deux partis flamands.

Je n’aurai aucune réponse aux sous-amendements que nous proposons. La situation se tend encore dans la soirée quand j’apprends – dans une conversation whatsapp – que certains partis de la majorité ne voteront pas le rapport d’information.

Au dernier moment, vendredi donc, en séance plénière, l’Open VLD et le CD&V demandent le renvoi du texte en commission, procédure prévue par le règlement du Sénat. Ils prétendent, qu’à la lumière d’éléments nouveaux apportés par le VVOG une association flamande d’obstétrique et de gynécologie, le vote ne peut avoir lieu aujourd’hui.

J’ai dit en séance, toute ma colère et ma désapprobation (vidéo ici)
C’est du sabotage !  Nous avons auditionné cette association de gynécologues en novembre 2021 ! Ils se sont exprimés ! Leur avis a compté dans le rapport d’information, comme les autres. Tout est compilé dans les documents, accessibles sur le site du Sénat. Nous avions le temps de régler ces questions bien plus tôt, le silence et l’obstruction en dernière minute sont des techniques de blocage politique que je veux dénoncer !

Finalement, pour sauver le texte, si c’est encore possible, certains Ecolo et PS ont dû voter, à contrecœur, pour le renvoi en commission. J’en veux beaucoup aux sénatrices et sénateurs Cd&V, open-vld et mr qui se sont fait l’instrument d’un seul lobby, sans connaissance profonde des multiples voix entendues lors de nos travaux. Si seulement ils avaient participé aux travaux ! Si seulement ils nous avaient fait confiance…

Le MR, lui, s’est tu dans toutes les langues. Alors que Véronique Durenne (MR) est co-rapporteure de ce travail, alors que les collaborateurs et les centres d’étude des partis politiques ont relu très attentivement le rapport au moment de sa validation, alors que le MR a soutenu de ses voix le rapport en commission. Et ce week-end, sur twitter, le Sénateur-président du MR s’est même autorisé un petit commentaire sur mon fil twitter. Alors même qu’il était absent des débats vendredi lors de la séance et que, je vous l’ai dit, les gynécologues ont été auditionnés.

La pression exércée par le VVOG a pris, de ce que j’en sais, la forme d’un courrier de 7 pages, adressé à la présidente de l’assemblée, et que certains de mes collègues ont reçu ensuite.  À moi, il m’est parvenu en plein débat parlementaire, à 10h19, après l’avoir exigé auprès de mes collègues.  Également reçu depuis la séance plénière, un courrier provenant du Collège des gynécologues francophones.

Il n’existe à ce jour pas de définition unanime de ce que sont les violences gynécologiques et obstétricales, cela, nous le disons d’emblée dans notre rapport. J’écris ‘pas unanime’, parce que des définitions existent, notamment celle de l’OMS, qui me paraît être une institution respectable.
J’affirme que nous avons tenu compte de la sensibilité exprimée par les cercles professionnels pendant les auditions, en témoignent par exemple les passages suivants, recueillis seulement dans les 4 première pages :
– Le concept de violences gynécologiques et obstétricales couvre une vaste réalité dont les contours sont difficiles à cerner (p2)
– On ignore dans quelle mesure les violences gynécologiques et obstétricales sont fréquentes en Belgique et leur définition n’est pas unanimement validée.
(p3)
– En dépit de leurs divergences de point de vue, les experts consultés s’accordent à dire qu’une prise de conscience est nécessaire pour lutter contre les violences gynécologiques et obstétricales. Il n’y a toutefois pas d’unanimité sur la définition, l’incidence et l’origine des expériences traumatiques (p3)
– La définition des violences obstétricales et gynécolo
giques se heurte à différentes opinions et interprétations comme les experts entendus au Sénat l’ont démontré (p4)
Je ne me lance pas dans une lecture commentée exhaustive des 50 pages. De rien.

Vous devez aussi savoir que nous avons inscrit nos travaux dans le cadre d’une résolution du Conseil de l’Europe (n°2306) qui appelle les États membres à se saisir de cette question.

Je dois aussi vous expliquer qu’un rapport d’information sénatorial, c’est un travail politique qui agrège des points de vue : aussi celui d’avocats et de juristes, de généralistes et de sage-femmes, d’enseignants, de psychologues, d’associations de luttes féministes …. Nous n’avons pas rédigé une thèse médicale. Il est probable que notre rapport contienne des imprécisions techniques, mais là n’est pas l’essentiel. Ce rapport d’information met justement, tiens donc !?, et c’est sans doute le point le plus central, en lumière le besoin urgent d’améliorer la communication entre le monde médical et les femmes dans les soins qui concernent leur santé sexuelle.

L’article paru dans L’Avenir, sous la plume de Caroline Fixelles, précise… « Fruit de deux ans d’auditions d’experts, de professionnels, le rapport proposait 92 recommandations afin « que les violences obstétricales soient prises en considération et évitées ». Parmi ces recommandations: identifier ces violences, veiller au consentement libre et éclairé de la patiente, enseigner davantage la physiologie de la grossesse, etc. Et si le courrier du VVOG se répand en critiques, il ne contient en réalité aucun élément réellement neuf susceptible de remettre en question le vote du rapport. Avec ce rapport d’information, je pense pouvoir dire que nous avons entendu les multiples points de vue, les concordances mais aussi les discordances.

Enfin même, les recommandations du Sénat n’ont pas force de loi. Le Sénat recommande de : Favoriser, encourager, mener des recherches sur, veiller à , prendre des mesures pour, tendre vers, s’efforcer de, examiner la possibilité de, … Est-ce qu’on peut trouver des formulations plus ouvertes, plus nuancées et aussi peu contraignantes ?

J’en termine ici avec ce courrier, qui contient par exemple ce passage : L’évitement et la sanction de l’agression verbale et/ou physique ne sont-ils pas évidents pour tous ? Le droit pénal ne prévoit-il pas qu’il est interdit de refuser et/ou de négliger des soins? N’est-il pas évident pour tous les prestataires de soins de santé que les actions inappropriées/non désirées n’ont pas leur place ? Force est de constater, et les femmes le constatent à leurs dépends : Non ! Non, justement, il n’y a pas d’évidence ! C’est bien là le problème ! Les droit des femmes lors des consultations gynécologiques ne sont pas toujours respectés, pas partout, pas tout le temps. Et si le cadre juridique existe, il est complexe à activer et insuffisamment appliqué.

Actuellement, je m’en réjouis, des recherches académiques, des thèses de doctorat sont en train d’éclore, après que de nombreuses femmes, soutenues aussi par des journalistes, aient dénoncé en nombre ces violences, décidé de ne plus laisser les autres parler à leur place et de s’exprimer en toute liberté sur les réseaux sociaux sur des sujets intimes et encore tabous, tant dans les échanges avec le corps médical que dans des discussions quotidiennes avec des proches.

J’imagine que bon nombre de médecins, de gynécologues, d’obstétriciens que j’ai eu la chance de rencontrer doivent ressentir , tout comme moi, du dégoût et du découragement. Bien sûr, ils n’apprécient pas le terme ‘violence gynécologique’ mais ils entendent les demandes des femmes et ont à coeur d’exercer leurs métiers en tenant compte des droits des femmes à décider pour elle-mêmes et des changements de la société.

Aux associations qui dénoncent et cherchent des solutions aux VOG sans relâche depuis des années, aux équipes médicales qui se débattent avec des contraintes logistiques ou économiques injustes et épuisantes, à toutes celles et ceux qui se remettent déjà en question et travaillent à plus de bientraitance dans les soins gynécologiques, qui luttent contre toutes les dominations et pour plus d’égalité, je voudrais dire ceci : au Sénat, votre parole a compté, tout comme celles du VVOG. Ces 92 recommandations sont là grâce à vous tous.

C’est une démonstration implacable. Une mise en abyme magistrale, dont les ingrédients -s’ils sont connus- restent violents : la brutalité de la procédure en urgence, le blocage par la force, l’accusation d’incompétence et d’ignorance, les arguments d’autorité, l’intimidation et l’humiliation … de la part de gynécologues rétrogrades qui estiment n’avoir pas suffisamment pesé dans la discussion.

À quel sujet déjà ? Un sujet qui concerne potentiellement toutes les femmes, de la puberté à la ménopause. Du droit des femmes et des patientes à être entendues, rejointes dans leur vécu, défendues ; du besoin des soignantes et des soignants de trouver des solutions à des situations difficiles, de disposer de données claires, de recherches pour mieux comprendre ces phénomènes, du besoin de statistiques pour objectiver ces violences systémiques de genre.

Au moment de terminer ce billet, je ne connais pas encore la suite du feuilleton.  C’est la première fois qu’un parlement belge se saisit (enfin) de ces questions… Le conservatisme des uns et la passivité du MR, côté francophone, visent à remettre dans l’ombre un enjeu sociétal fondamental.

Nous savons que la lutte contre les violences obstétricales est plus que jamais dans la lumière.
La lutte contre les violences a fait son apparition dans des plans d’action de nos gouvernements francophones et fédéraux, et des projets sont soutenus financièrement pour visibiliser ces enjeux sur le terrain grâce au travail de sensibilisation des associations; La dernière étude du KCE sur le référencement lors du suivi des grossesses à bas risque, est très en phase avec les recommandations de notre rapport; …

Nous nous mobiliserons avec toutes les personnes qui veulent voir disparaître certaines pratiques médicales, pour que la bientraitance maximale devienne réalité pour toutes.

 

Utile pour se plonger dans le dossier :
La demande de rapport d’information (avril 2021)
Le compte-rendu des auditions 
La proposition de rapport d’information à l’ordre du jour du 23 juin 2023
La séance plénière du 23 juin 2023 ( ce sujet à partir de la minute 41, mon intervention à 44:56)

La presse en parle :
https://www.rtbf.be/article/report-du-texte-sur-les-violences-gynecologiques-au-senat-cest-lamentable-11217931
https://www.lavenir.net/actu/2023/06/23/le-rapport-sur-les-violences-obstetricales-pas-vote-au-senat-cest-du-sabotage-GYYBSIAMRNDLPB5FGN32XE3T54/