Pour une assemblée citoyenne tirée au sort, lieu de dialogue entre les communautés du pays
Créé pour offrir un contrepoids conservateur à la Chambre des Représentants, le Sénat se cherche un sens depuis longtemps, en vain. Privant le Sénat de la plupart de ses compétences législatives, à l’exception des révisions de la Constitution et des lois spéciales, la réforme de 2014 ressemble pour beaucoup à un aimable enterrement. Même parmi les partis démocratiques,
rares sont ceux qui ont sérieusement voulu faire fonctionner l’institution : que faire dès lors de la Haute Assemblée ? Nous proposons de remplacer le Sénat par une assemblée de citoyen.ne.s tiré.e.s au sort.
Une lame de fond
La représentation politique par tirage au sort accompagne déjà de nombreuses initiatives visant à réformer les institutions démocratiques. En Islande, c’est une assemblée de citoyen.ne.s tiré.e.s au sort qui fut ainsi chargée d’élaborer un nouveau projet de Constitution suite à la crise économique de 2010-2011. L’Irlande a mis sur pied une série d’assemblées de citoyen.ne.s entre 2012 et 2018. La France s’est dotée il y a quelques mois d’une « Convention citoyenne pour le Climat », qui vient de remettre au gouvernement un programme de 150 mesures destinées à faire face au défi écologique. Plus près de chez nous, la Communauté germanophone s’est dotée d’un organe consultatif de citoyen.ne.s tiré.e.s au sort, et la Région de Bruxelles-Capitale a créé des commissions parlementaires mixtes composées paritairement d’élu.e.s et de citoyen.ne.s chosi.e.s au sein de la population.
Ces initiatives ne viennent pas de nulle part. Elles répondent à un sentiment croissant de méfiance vis-à-vis des représentant.e.s politiques. Elles accompagnent aussi une refonte progressive de l’idéal démocratique. La légitimité démocratique a longtemps été assimilée à l’exercice du suffrage universel. Elle est aujourd’hui de plus en plus associée à l’idée que les décisions sont légitimes dès lors qu’elles résultent de la délibération de toutes et tous ainsi que d’un processus égalitaire de « formation des volontés ». Dans ce contexte, la crise sanitaire inédite que nous venons de vivre revêt un effet accélérateur, tant il est nécessaire que les citoyen.ne.s, auxquel.le.s des efforts et des privations jamais consentis en temps de paix ont été demandés, puissent désormais participer plus concrètement à l’élaboration de la nouvelle société qui se construit.
A cet égard, le tirage au sort présente une série de vertus notables. Il donne à toutes et tous une chance égale d’accéder à la représentation. Il contribue à une représentation plus diversifiée, tant en termes de représentation de genres qu’en termes de représentation socio-professionnelle. Il repose enfin sur l’idée qu’il n’est ni possible ni souhaitable de définir a priori les compétences d’un.e « bon.ne » représentant.e politique. Enfin, il nous rappelle que la somme des expertises individuelles des représentant.e n’est pas un indicateur suffisant pour évaluer la qualité de la délibération. L’intérêt général n’est plus perçu comme l’addition des intérêts particuliers, et les élu.e.s ne peuvent plus justifier le monopole de sa défense. Favorisant en ce sens des décisions plus impartiales, le tirage au sort peut améliorer la qualité générale de la délibération collective.
Un lieu de dialogue entre les communautés du pays
Que proposons-nous dès lors ? Nous souhaitons que le Sénat soit remplacé par une assemblée de 75 à 150 citoyen.ne.s belges ou résident.e.s permanents sur notre territoire, âgé.e.s de plus de 16 ans. Cette assemblée pourrait notamment disposer d’un droit d’initiative législative, du droit de rédiger des rapports d’information et d’émettre des recommandations à destination des différents parlements du pays, d’être partie prenante du processus de révision de la Constitution, d’intervenir dans les éventuels conflits d’intérêts entre les différentes assemblées parlementaires du pays. Ce faisant, le mandat sera limité dans le temps et non renouvelable. Les citoyen.ne.s tiré.e.s au sort seraient accompagné.e.s dans leur tâche par des spécialistes des matières débattues. Des lieux de délibération interparlementaires seront mis en place avec les représentant.e.s des différents groupes politiques présents au sein de la Chambre des Représentants.
Cette nouvelle assemblée permanente à l’échelle du pays, première du genre au niveau mondial, n’est pas la solution miracle à nos problèmes institutionnels ainsi qu’aux défis sociaux et environnementaux qui nous attendent. Nous sommes pleinement conscients que la composition d’une telle assemblée ne résulte pas d’un choix collectif, ses décisions ne pouvant dès lors pas être sanctionnées par les électeurs. Or, la représentation élective présente des vertus importantes, qu’il n’est nullement question de nier ou de minimiser : l’élection est un moment essentiel dans la vie civique qui permet de débattre des nombreux défis posés à notre société, offrant ainsi un débouché pacifique aux conflits politiques.
Néanmoins, les mois qui viennent de passer montrent à quel point il est devenu difficile de combler le fossé entre gouverné.e.s et gouvernant.e.s. Dans cette perspective, notre proposition vise à combiner les avantages de la représentation élective et de la représentation par tirage au sort, la Chambre des Représentants conservant le dernier mot pour la plupart des matières législatives. La nouvelle assemblée ne présenterait pas seulement la vertu habituellement associée au tirage au sort : permettre à chaque gouverné.e de devenir un jour gouvernant.e. Elle serait un lieu de dialogue entre les communautés du pays, permettant d’aborder les clivages qui le composent sans que ses membres ne doivent préserver leur carrière politique ou suivre mécaniquement les instructions des états-majors de partis. Elle permettrait aussi d’enrichir la délibération des mots de tous les jours et des sentiments de chacun.
Une assemblée conçue par et pour la population
De manière générale, la mise en place de cette assemblée nous rappellera que la démocratie est avant tout un régime où chacun.e est susceptible d’exercer une parcelle de pouvoir collectif. Explicites ou inassumées – rien de tel pour couler une idée de se borner à la trouver « sympathique » – les oppositions que nous rencontrerons seront souvent illustratives de la réticence des élu.e.s à se dessaisir de leurs prérogatives : elles nous encourageront. Elles reposeront aussi sur des arguments raisonnables : discutons-en. Dans ce cadre, les partisans du statu quo devront toutefois expliquer comment la représentation élective peut pallier à ses manques internes mieux que notre proposition le ferait. Ils devront également dire pourquoi la suppression simple du Sénat serait préférable pour notre démocratie que son remplacement par une assemblée tirée au sort.
Le débat est désormais lancé ! Menons-le au Sénat, mais pas uniquement. Associons-y aussi les citoyen.ne.s par le biais d’une consultation publique. Car après tout, et c’est là tout le pari national formulé par les écologistes, il s’agit de créer une assemblée conçue par et pour la population !
John Pitseys
Farida Tahar
Rodrigue Demeuse
Hélène Ryckmans
France Masai,
Sénateurs Ecolo
1 Manin (B.), « Volonté générale ou délibération. Esquisse d’une théorie générale de la délibération politique », Le Débat, 33, 1985.